
On a beau eu plonger dans divers grimoires, le lieu d’origine du parmesan et sa date d’apparition (vers 1200) restent controversés. Pourtant, une chose est bien certaine, le parmigiano reggiano (parmesan en français) fait partie des fromages les plus anciens, et n’a donc pas volé son surnom de “re dei formaggi” (roi des fromages). Quant à son nom, il le doit aux deux régions qui l’ont vu émerger : Parmigiano pour la région de Parme et Reggiano pour celle de Reggio Emilia. En France, on a manifestement choisi la team Parme. Sa paternité, elle est attribuée aux abbayes bénédictines et cisterciennes. À cette époque, de nombreuses vaches arpentaient les plaines de la région : pas question de gaspiller leur lait, ni de fabriquer un fromage frais, qu’il aurait fallu consommer immédiatement. Le résultat du brainstorming monacal ? Un fromage à pâte dure, facilement transportable, fait à partir de lait de vache transformé dans de grandes chaudières.
Parmesan = lait, présure et sel

Huit siècles plus tard, peu de choses ont changé : mêmes ingrédients (lait, présure et sel), mêmes techniques d’élaboration et surtout une fabrication toujours 100% naturelle, sans aucun additif. Depuis 1954, sa production est d’ailleurs réglementée par le Consortium du fromage Parmigiano-Reggiano. En 1996, grâce à l’Union Européenne, le consortium décroche une AOP (Appellation d’Origine Protégée). Pour la porter, le fromage doit donc être conçu (mais aussi râpé et découpé) dans une région limitée par les provinces de Parme, Reggio d’Emilie et Modène (ainsi qu’une partie de Bologne et de Mantoue).
Même délimitation géographique pour le lait : celui de la région, très particulier, se distingue ainsi par une intense activité bactérienne due notamment au foin du territoire qui constitue le principal aliment des vaches. Une des caractéristiques du Parmigiano-Reggiano sera d’ailleurs la couleur “jaune paille” de sa pâte. Il s’agit là d’une preuve colorimétrique de l’alimentation sans faille des vaches productrices, nourries uniquement à l’herbe fraîche et au foin sec. Par ailleurs, seulement quatre races bovines, les frisonnes, font partie du cheptel autorisé. Pour la saison, si le parmigiano reggiano ne se fabriquait autrefois qu’entre le 1er avril et le 11 novembre, il est désormais produit toute l’année.
Deux laits

D’ailleurs, en parlant de fabrication, elle se fait à partir de deux laits : celui de la veille au soir et celui du matin. Le premier est écrémé, le second entier. Le lait de la veille est placé dans une très grande bassine à température ambiante : cela permet que la matière grasse affleure en surface pour couver le lait durant la nuit. À l’aube, on écrème manuellement et le gras file de son côté pour être transformé en beurre (spoiler alert : on ne cuisine pas qu’à l’huile en Italie). De son côté, le lait écrémé est versé dans des chaudrons de cuivre typiques, en forme de cloche renversée. Là, il est mélangé avec le lait du matin, tout juste débarqué (et donc toujours entier, vous nous suivez ?). À ce combo gagnant, on ajoute le petit-lait des précédentes préparations, un allié précieux puisqu’il a conservé leur bonne flore bactérienne.
Enfin, la présure entre en scène pour jouer son unique numéro : la coagulation. Et il fonctionne à chaque fois : en une dizaine de minutes, le lait se densifie. Là, le casaro (fromager) prend le relais et vérifie la texture à la mano. Le caillé est ensuite rompu à l’aide d’un outil à lames tranchantes répondant au doux nom de “spino”. Cette opération permet de le réduire en granulés -de la taille de grains de blé- qui sont ensuite chauffés à 55°C. Le tout reste au repos pendant une heure : pendant cette sieste, la partie solide se sépare complètement de l’eau pour se déposer au fond de la cuve. Là, nouveau tour de magie (ou en tout cas sacré tour de main) : on sort cette masse de fromage à l’aide d’un large tissu en lin. Et pour qu’elle s’égoutte, on suspend ce petit hamac de 110kg à un bâton puis on la divise en deux : chaque cuve donne ainsi naissance à deux meules jumelles de parmesan.
Douze mois minimum
Le caillé est ensuite placé dans un moule intitulé “fascera” puis légèrement pressé pour faciliter l’expulsion du petit lait. Lors de ce moulage, on applique une plaque de caséine aka la carte d’identité de chaque meule : grâce à son code alphanumérique unique, on peut établir une traçabilité dès le début. Le soir même, on insère également un marqueur en plastique fourni par le Consortium. Customisé, il se trouve sur le dessus de la meule et on y aperçoit entre autres la fameuse écriture “Parmigiano Reggiano” en pointillés, le matricule de la fromagerie ainsi que le mois et l’année de production. Après trois jours dans son moule, la meule part faire trempette dans une saumure (solution d’eau et de sel) durant une vingtaine de jours. Après sa cure de sel, direction la salle d’affinage pour sécher et laisser le sel s’immiscer au coeur de ses chairs : l’affinage commence. Durant un an, les meules sont contrôlées, brossées et retournées quotidiennement.

Vous l’aurez compris : sans ces douze mois de patience, inutile de demander l’appellation au rigoureux Consortium. Et la rigueur n’est pas un euphémisme. Chaque meule est inspectée puis tapée à l’aide d’un petit marteau par deux experts ; certaines sont également ouvertes et goûtées. Après cette épreuve de feu, elles sont marquées d’un sceau. Dans le cas contraire, tous les signes déjà présents sur les pourtours sont gommés et éliminés : la meule ne peut pas être vendue sous l’appellation de Parmigiano Reggiano. À partir de là, les meules repartent sur l’étagère pour six mois à un an supplémentaire, 24 mois étant la durée d’affinage la plus courante.
Conseils d’orientation
Pour s’y repérer : le parmesan 12 mois ou “parmigiano reggiano mezzano” se reconnaît aux sillons sur le talon de la meule. Il faut le consommer assez rapidement… ou le râper : c’est donc celui que l’on trouve en grande distribution, dans les sachets ou les préparations culinaires industrielles. Après deux ans, il devient vecchio, stravecchio après trois ans, et stravecchione au bout de quatre ans. «À 12 mois, il est équilibré entre douceur et acidité. Il a un goût lacté, avec des arômes d’herbes fraîches” explique Alessandra Pierini, fondatrice de l’épicerie italienne Rap, à Paris. “À 24 mois, les arômes du lait se transforment en arômes de beurre, avec des saveurs de noix, de noisette et d’abricot. À 36 mois, les notes sont poivrées et épicées ; l’arôme de la noix de muscade est caractéristique.»
Quelle que soit la durée d’affinage, le parmesan doit être friable et fondre en bouche, être ni trop sec ni trop salé. Par ailleurs, certains parmesans âgés d’au moins 18 mois sont frappés des mentions «extra» ou «export». Ces 2 mentions signifient en fait la même chose, à savoir que le fromage a une bonne capacité de maturation : on peut donc les trouver sous forme de meules ou conditionnés en portion.