
Le caviar éthique
de Château Castillonne servi par Gilles Goujon et Lionel Giraud
Aujourd’hui, on vous présente un pisciculteur qui fabrique du caviar sans mettre fin à la vie de l’esturgeonne. Ils sont déjà très peu à prélever du caviar sans tuer leurs esturgeons ; Frédéric René est en revanche le seul à pratiquer la technique de la césarienne sur ses poissonnes. Aujourd’hui, il possède 270 esturgeonnes, toutes dotées d’un prénom puisqu’il compte bien les accompagner durant la totalité de leur vie (50 ans vs 7 à 20 ans dans un schéma d’élevage classique). L’opération est renouvelée tous les deux ans, lorsque les œufs reviennent à maturité. Enfin, le caviar du Château Castillonne n’est pas vendu «primeur», il est affiné plusieurs mois et cette maturation lui apporte puissance et longueur en bouche. Des atouts qui ont séduit les chefs Lionel Giraud et Gilles Goujon.
En vente sur le Club MoiChef :
Présentation du producteur :
Frédéric René ne peut pas cacher grand chose dans sa pisciculture à ciel ouvert, située à l’entrée de Saint-Guilhem-le-Désert. Là, ses poissons nagent dans les eaux du Verdus, un confluent de l’Hérault, leur assurant ainsi une source d’eau pure, abondante et donc des bassins renouvelés intégralement, plusieurs fois par jour. Nous sommes accueillis par Frédéric, Léo et Alan, les trois mecs qui s’occupent tous les jours de leurs 270 miss Baeri. Aujourd’hui, les plus âgées ont 14 ans. Quand on rencontre un producteur pour la première fois, la logique est simple : poser plein de questions pour tout comprendre.L’histoire, le quotidien, le pourquoi ; tout cela nous aide pour valider une future mise en avant, pour l’écriture de cette newsletter me concernant et pour construire sa vidéo, côté Tristan. Frédéric nous a donc déroulé sa vie, son œuvre.
Acte I
L’origine du projet
François, son père, a été chercheur diplomate (à l’origine de la filière caviar en Aquitaine), ingénieur agronome et directeur de recherche à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) spécialiste de la reproduction aquacole. Durant cette carrière «scientifique et aventurière», une conviction en fil rouge : il doit être possible de produire du caviar autrement. Il y a cette fascination pour cet animal préhistorique, vieux de 250 millions d’année, qui a failli disparaître en 2008 (suite à la surpêche et au braconnage). Depuis, la consommation d’esturgeon sauvage est interdite et le caviar ne peut donc provenir que d’un esturgeon d’élevage. Néanmoins, pour François, il y a une forme de désolation concernant son actuelle exploitation. Un esturgeon peut vivre jusqu’à 50, voire 150 ans tout en continuant à produire des œufs ? Pourquoi le tuer à 8 ? Et puis, en Europe, sa viande est encore trop peu valorisée (ou en tout cas, pas comme elle le devrait).
Alors, en 2016, tout juste retraité, il se remonte les manches pour tenter une expérience novatrice : pratiquer une césarienne sur des esturgeonnes afin de prendre leurs œufs… mais pas leur vie. Il lui faudra trois ans et l’aide de Frédéric pour maîtriser la technique. Désormais, c’est d’ailleurs ce dernier qui a repris les rênes, ; son père est là en soutien sur plusieurs aspects. D’abord, il y a l’échographie pour vérifier la taille des œufs et déterminer le timing parfait. Ensuite, vient l’opération qui a toujours lieu sous contrôle vétérinaire. L’animal est plongé dans un bain froid pour faire descendre sa température. L’objectif est d’atteindre un état de catalepsie (sorte d’anesthésie naturelle) où il ne ressent ni stress, ni douleur. Puis vient le moment de la césarienne et de la suture. Après l’opération, il faut compter environ deux mois de cicatrisation. Deux ans après, les poissons auront de nouveaux œufs… et ainsi toute leur vie car les femelles sont exemptées de ménopause. Et puis, plus le poisson est âgé, plus il grandit, et il en va de même pour la qualité du produit qui se «rapproche du goût du caviar sauvage» selon Frédéric. D’ailleurs, à l’état sauvage, les femelles sont fréquemment amenées à «s'éventrer» en se frottant contre un rocher pour libérer leurs œufs. En effet, leur orifice de ponte est resté primitif et la ponte est souvent difficile. Une fois effectuée, la plaie cicatrise d'elle-même.

Acte II
Fred et les esturgeons
La pisciculture est d’abord implantée à Montagnac avant de déménager en 2019 dans celle du Verdus, ce ruisseau en zone protégée à «l’eau parfaite». À l’époque, François et Frédéric possèdent 80 esturgeonnes. Deux ans plus tard, Frédéric en élève 270 (arrivées d’Aquitaine à l’âge de 7/8 ans) et va en accueillir 230 supplémentaires en juillet, lui permettant ainsi de trouver son rythme de croisière. Néanmoins, chaque «poissonne» est unique. Et puis, Fred, les garçons et les esturgeonnes vont vivre des décennies ensemble : autant vous dire qu’elles sont toutes suivies à la trace (enfin à la nageoire) et que chaque perte est un drame, qui peut les empêcher de dormir pendant plusieurs jours.
D’ailleurs, toutes possèdent un petit nom en l’honneur de célébrités féminines qui ont -plus ou moins- changé l’histoire (Cléopâtre, Marie-Antoinette, Madonna, etc…). Et les oeufs sont tracés dans des boîtes qui portent les prénoms de leur donatrice. Reste plus qu’à savoir si vous hériterez plutôt de Perséphone ou de Pocahantas ?
Au quotidien, les miss évoluent en très faible densité (20kg/m3 d’eau max) dans les bassins (soit une densité 5 fois moins importante que dans la plupart des autres exploitations ; la norme du bio, elle, est de 30KG/m3). Cette qualité de vie se ressent forcément sur les œufs, plus beaux, plus gros en taille, plus fins au goût. Côté alimentation, tout est bio, soigneusement sélectionné et exempté de farine d’origine animale terrestre. L’ensemble est complété par de l’huile de foie de morue, parfaite pour les apports en oméga 3. Du coup, pureté + faible densité + pas stressées + alimentation soignée = pas de traitement antibiotique pour les élever.
À ce stade-là, nous sommes séduits : sur le papier, le Château Castillonne coche presque toutes les cases de nos critères du bon (détaillés plus haut). M’enfin, il en manque un et pas des moindres : celui de la dégustation. Pour nous, ce caviar est très réussi : des grains au diamètre jamais vu auparavant, très beurré, une incroyable longueur en bouche. Depuis sept ans qu’on fréquente des chefs et sept mois sur les routes de France, notre palais s’est considérablement affiné. Néanmoins, lorsqu’on va voir un producteur, il y a toujours l’épreuve de feu, le test ultime, le baccalauréat des papilles et rien ne peut se faire sans : il s’agit de la validation de Côme de Cherisey, ancien propriétaire du Gault&Millau et associé du Club MoiChef, dont on dit souvent qu’on lui a « délégué » notre palais pour trancher.
Acte III
La dégustation
Frédéric a donc fait parvenir une boîte à Côme. Après dégustation et un échange téléphonique entre les deux, c’est un énorme FEU VERT.
Comme précisé plus haut, l’affinage du caviar pendant plusieurs mois (comme on le ferait avec du vin ou du fromage) produit son effet.Les grains sont un peu moins croquants que sur un caviar primeur (= vendu moins de trois mois après la production) mais la longueur en bouche est incroyable et la palette d’arômes est démultipliée. Comme le dit Fred dans la vidéo de la semaine, cette puissance de saveur permet aux chefs de sortir de leur zone de confort sur le caviar et de l’associer à des recettes plus originales, ou à des ingrédients plus expressifs (comme de la viande maturée).
Lorsque tous les astres sont alignés, on passe à la programmation de la vente (trouver la bonne place dans le planning) et aux étapes logistiques. Place à Margot, la femme de l’ombre sans qui nous ne serions rien. Chaque semaine, il faut tout recommencer : valider la sélection, vérifier les tarifs pro, les tarifs de livraison spécifiques à chacun et à chaque pays, la mise en ligne, etc… Pendant ce temps, je m’occupe de l’édito et Tristan fait la vidéo, avec toujours l’objectif de vous présenter un produit, (presque) tout ce qu’il faut savoir dessus et comment se différencie le producteur de la semaine sur ce produit. Ce travail-là non plus n’est pas banal : entre l’esquisse de scénario, le tournage et le montage, il faut bien compter une journée !
Acte IV
Le bonus livraison
Mi-avril, nous avons rencontré le chef triplement étoilé Gilles Goujon, afin d’organiser un événement spécialement réservé aux membres du Club MoiChef. Il s’apprêtait à ouvrir L’Alter-native, son nouveau restaurant à Béziers, dont le potager sera -à terme- irrigué par l’eau de bassins en aquaponie. Impossible donc de ne pas lui glisser un mot sur Château Castillonne. Notre opération séduction n’a pas loupé : le lendemain, il les appelait pour goûter leur caviar et, après dégustation, il les a mis à la carte du tout premier menu de sa toute première date d’ouverture… elle-même réservée aux membres du Club MoiChef.
Comme nous retournions voir Frédéric et Léo la veille de cette pré-ouverture, ils nous ont confié les précieuses boites nécessaires à la recette prévue le lendemain. Nous nous sommes donc retrouvés entremetteurs ET chauffeurs de caviar. Mieux encore, le lendemain nous avons pu déguster le caviar que nous avions déniché pour Gilles Goujon dans une recette élaborée par le chef, lors d’un événement que nous avions nous-mêmes organisé. Et lors de cette avant-première, certains membres ont pu goûter en avant-première le caviar que nous allons mettre en vente cette semaine. Bref, la boucle était sacrément bouclée.