
Nemrod : qui va à la chasse, trouve sa place.
Quand ils fondent Nemrod (hommage à un vaillant chasseur biblique), Edouard et Vianney ont un objectif peu banal : réduire le gaspillage de la chasse en modernisant l’image du sanglier avec du pâté. Si ça sonne Kamoulox, continuez votre lecture, on est très contents de vous partager ce très beau projet, soutenu par de nombreux MOF, bouchers, chefs étoilés (Olivier Nasti, Stéphane Gaborieau) mais aussi parc régionaux et défenseurs écolos.
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Présentation du producteur :
“Edouard était passionné de chasse depuis quinze ans, moi je n’y connaissais rien”. Lorsqu’ils se rencontrent en école de commerce à Bordeaux, ce n’est donc pas l’amour du gibier qui réunit Edouard et Vianney. Lui, comme beaucoup, avait jusque là une image très floue de la chasse. Un échange universitaire au Chili, en compagnie d’Edouard, et de nombreuses conversations autour de cet univers seront l’occasion de balayer ses a priori. Notre conversation avec Vianney éclairera beaucoup des nôtres : on vous raconte.
Avant de commencer, il nous faudra différencier le petit et le grand gibier (promis on ne vous fait pas un remake du bon ou du mauvais chasseur). Quand on parle de grand gibier, on évoque les cerfs, les chevreuils et les sangliers. Le petit, nous n’en parlerons pas aujourd’hui. Déjà parce qu’il est souvent trop difficile de s’assurer de sa nature sauvage (il arrive souvent qu’il soit lâché à partir d’élevages pour la chasse) ; ensuite car Edouard et Vianney eux-mêmes ne s’intéressent qu’au grand gibier, après avoir découvert un chiffre assez alarmant à son sujet.
6% de gibier commercialisé
Concernant ce dernier : chaque année, sur l’ensemble du grand gibier chassé, seulement 6% est officiellement commercialisé. Une partie finit dans le congélo, une autre se revend sous le manteau. Autant dire que ça ne pèse pas lourd dans la balance : le gibier n’est pas vraiment un tube de l’été et la plupart des gens ne s’y intéressent que lors des fêtes de fin d’année. Résultat : un tiers de cette chasse est littéralement abandonné, laissé au fond de la forêt. Ok on a le constat mais également une petite question, comme ça : puisque c’est gâché, pourquoi ne pas moins chasser ? C’est qu’il y a des quotas de prélèvement, nous explique Vianney.Fixés par les préfectures locales, ils imposent ainsi un nombre de gibier à respecter par associations de chasses qui se doivent de les respecter sous peine de recevoir une amende en cas de manquement (et de surplus).
Et ces quotas de prélèvement sont instaurés car la croissance du grand gibier est énorme. Ainsi, ce sont des déferlantes d’animaux qui viennent souvent abîmer des parcelles forestières et en détruire d’autres agricoles. Les dégâts sur les cultures incluses dans les zones de chasse doivent d’ailleurs être pris en charge par les chasseurs. Par ailleurs, en France, on observe l’existence de “zones noires” où l’on assiste à un dérèglement d’écosystème faune-flore allant jusqu’à empêcher certaines espèces de se développer. L’absence de prédateurs (ours, loups) en France donne donc un nouveau rôle à jouer pour l’homme : celui de régulateur.

Remettre le gibier au goût du jour
Bon, on a déjà un premier mythe érodé : la plupart des chasseurs ne tirent pas sur tout ce qui bouge, par folie sanguinaire. Et il y a donc un impact positif sur les écosystèmes ; certains vont même jusqu’à parler des chasseurs (1 million en France) comme des premiers écolos. Modérons tout de même : écolo pourquoi pas, mais plutôt par défaut. “Pour la plupart d’entre eux, la chasse reste avant tout un loisir-passion plus qu’une mission de régulation” nous explique Vianney. Cela n’empêche pas que cette affaire de quotas leur pose un problème éthique : celui de devoir chasser plus qu’ils ne peuvent consommer. Et nombre d’entre eux sont à l’affût d’un débouché pour leur viande. “Ici, dans les Vosges, beaucoup de chasseurs voudraient nous apporter leur gibier” constate Vianney.
Côté public, les filières de revalorisation du gibier ne sont pas organisées ; pourtant de nombreux acteurs sont impliqués -Fédération Française de Chasse, vétérinaires, parcs naturels nationaux- mais les actions prennent du temps. Et la situation ne devrait pas aller en s’arrangeant : face à la croissance importante, les quotas de prélèvement sont amenés à perdurer voire à augmenter, entraînant avec eux le pourcentage de gaspillage. C’est là que Nemrod rentre en jeu avec un objectif : lutter contre le gâchis & remettre le gibier au goût du jour en le sortant du cliché plat-de-mémé “long à mijoter pour un résultat lourd et faisandé”. Et puis montrer une autre facette aussi pour cette viande qui souffre d’une ambivalence chasseur viandard vs plat de restaurant étoilé. Bref, il y a “un gros travail à faire pour le démocratiser” résume Vianney. Ça tombe bien : il est fan de cuisine et bénéficie d’une expérience en conserverie. Ensemble, ils décident donc de pencher leur réflexion vers des produits apéritifs. Ils décident donc de créer une gamme de charcuterie fine et légère mais aussi de verrines simples adaptées à une consommation toute l’année.
50km autour de l'atelier
D’ailleurs, pour tester leur marché, les deux amis lancent leur première production...en été ! “Pas une très bonne idée sur le papier” sourit Vianney. Mais dans les faits, les six premiers mois (auprès de professionnels uniquement) sont concluants. La gamme est composée de trois terrines légères et douces autour du sanglier, du chevreuil et du vin blanc. Épiceries fines, boucheries, caves à vins, restaurateurs et fromagers leur font tous remonter l’intérêt de nombreux clients, séduits par la démarche. “Même des végétariens” s’amuse Vianney. Car le gibier est, par essence même, la viande la plus naturelle, la plus locale et durable qui soit. Nemrod garantit d’ailleurs une traçabilité de la viande, à 50 km maximum autour de leur atelier.
Originaires du Massif forestier des Vosges, il s’agit donc d’animaux autochtones qui gambadent où ils le souhaitent, mangent ce qu’ils trouvent en fonction des saisons et ne sont pas soignés aux antibiotiques, garantissant ainsi une viande ultra-saine. Par ailleurs, les populations de grands animaux sont en constante augmentation depuis plus de 20 ans, en faisant ainsi une ressource durable renouvelée naturellement chaque année.
Nouveau métier : gestion d'atelier
Mi-2019, Edouard et Vianney signent une première année très concluante et décident de diversifier leur gamme. Fin 2019, leur partenaire Christophe Frey, hôtelier et restaurateur, leur cède son atelier de transformation de gibier, séduit par leur approche. C’est avec lui qu’ils avaient mis au point les trois premières recettes, il leur apprendra donc tout ce qu’il faut savoir lors d’une passation de pouvoir sur deux mois. 1er décembre 2019 : les deux compères ajoutent donc une corde à leur arc (si vous nous permettez l’analogie chasseresse) en distribuant des produits d’une part et en les cuisinant de l’autre. “En France, il y a une vingtaine d’ateliers qui travaillent le gibier : la plupart fournissent des grossistes en pièces fraîches, peu les transforment”.
Si les ateliers sont si peu nombreux nous explique Vianney, c’est qu’il ne s’agit pas d’une matière première facile à travailler. Les animaux ne sont pas calibrés, tout est aléatoire et l’approvisionnement subit une forte saisonnalité. Et l’aspect hygiène ? Draconien : tous les animaux sont testés auprès de laboratoires vétérinaires et la découpe ne peut commencer qu’une fois les analyses (positives) reçues. Bon et ça ressemble à quoi un cycle de travail ? Première étape : récupération du gibier auprès d’une quarantaine de chasses proches de l’atelier. Ensuite, rien ne serait possible sans les cinq bouchers de l’équipe. Après avoir été pesé et identifié avec un numéro unique par animal, garant de la traçabilité, le gibier est pelé.
De nombreux restaurants étoilés sont clients sur la partie viande fraîche, notamment le chef doublement étoilé Olivier Nasti ou le MOF étoilé Stéphane Gaborieau qui a validé les premières recettes de terrines (en photo). Deuxième étape (plus rare dans la plupart des ateliers) : la transformation en produits apéritifs. En fonction des besoins, les bouchers parent des petites pièces ou de beaux morceaux entiers comme les cuissots ou les épaules. Dans le respect de la tradition alsacienne, l’atelier est équipé d’un fumoir et un séchoir. Enfin, une partie de la viande est réservée à la fabrication des produits transformés et aux plats cuisinés et stérilisés.
Valeurs Parc Naturel Régional
Aujourd’hui, Nemrod est le 1er atelier à transformer du gibier sauvage français bénéficiant de la certification nationale “Valeurs Parc Naturel Régional”, attribuée par le Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges. Ce label répond à un cahier des charges précis pour le gibier (85% doit être sauvage et en provenance du parc). Il atteste ainsi que leur activité est bien ancrée dans le parc, dans le territoire alsacien et porte des valeurs éco-responsables. Courant 2020, le Collège Culinaire de France les a également reconnu comme artisan de qualité pour leur travail avec les chefs étoilés.
On raccroche, convaincus par le projet écologique vertueux. Depuis, on a eu l’occasion de goûter les produits de Nemrod plusieurs fois et autant vous dire qu’on a pas été déçu par l’aspect gastronomique.