
Il se passe quelque chose de quasiment mystique chez Nathalie Lefort, vinaigrière et fondatrice de La Guinelle. Pour s’y rendre, on touche déjà au sublime avec cette route qui surplombe la mer avant de serpenter entre les vignes pour nous débarquer sur les hauteurs de Port-Vendres. Enfin arrivés, on a atteint le bout de la piste, et peut-être le bout du monde. Dans la voiture, Nathalie nous avait envoyé un texto “Montez directement à la maison, il fait trop froid”.
En sortant, on est effectivement saisi par un vent glacial qui te réveillerait deux ou trois macchabées. On pousse le portail au panneau bariolé qui indique “Vinaigrerie”, Nathalie nous attend en haut de grands escaliers, agitant les bras pour nous faire signe de monter. Message reçu. Avant de se plonger dans les tonneaux, on ira donc se lover dans une tasse de thé.
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Présentation du producteur :
Faut croire qu’après plus de vingt ans passés ici, on ne s’habitue pas à la tramontane puisque notre hôte, déjà pas bien grande, disparait presque sous son large pull et sa longue étole-châle. Tournée générale de café. On se réchauffe et d’ailleurs la glace est brisée : rapidement, Nathalie nous confie le coup de cœur récent qu’elle a eu pour l’Inde. “Ici, on marche sur la tête, là-bas, ils ont tout compris”. Le décor est posé.
Et puis, évidemment, on en vient au vinaigre. Et là, c’est le début d’une histoire de vingt ans, une histoire belle à pleurer, distillée pendant deux heures par Nathalie qui, en plus d’être vinaigrière, a un talent de conteuse hors pair. Cette histoire, elle se situe entre le hasard, la chance, la résilience, la force et le talent. C’est une histoire unique, comme Nathalie, et comme son vinaigre. D’abord, il y a cette maison, héritée d’une connaissance devenue proche, Marie-Anna, ancienne artiste peintre. Après être venue déjeuner ici une fois, Natou lui balance à la volée “Si tu pars un jour, je te la rachète”. Un jour, elle reçoit un coup de fil : “Voilà, je pars”. Elle achète. Sceptiques s’abtenir, mais il y a une âme dans cet endroit. En 1999, Nathalie déménage donc, seule avec son fils Adrien, dans cet endroit haut perché et esseulé qui s’apparente plus à un casot (cabanon de chasse des Pyrénées Orientales) qu’à une vraie maison. Le reste du monde lui dit qu’elle est folle de s’installer ici, elle reste.
“T’as pas le droit de lâcher”
Pire encore, alors qu’elle travaille dans le monde du vin à Banyuls, elle commence à expérimenter le vinaigre, un truc qui lui trotte dans la tête depuis un moment. Mais bon, pas la peine de vous faire un dessin : difficile d’aller demander du Banyuls de qualité pour le transformer volontairement en vinaigre, plutôt vu comme un accident honteux de la vinification. Peu importe, Natou tente sa première barrique. Pendant neuf mois, il ne se passe rien. Et puis ça vient, la mère se forme.
Alors, elle continue, elle tâtonne, elle fait ses premières expériences. Et puis, aidée par quelques vignerons, Nathalie fait une ou deux rencontres déterminantes. La chance, le hasard, le charisme, le destin qui sait ? Un jour, l’une de ses rencontres, bien connu de la place gastronomique parisienne, débarque en mini bus avec Thierry Breton, Christian Etchebest et… Yves Camdeborde.
À l’époque, Nathalie a quatre tonneaux et “elle ne sait pas ce qu’elle fait” selon ses propres mots. Le pape de la bistro trempe son doigt dans les quatre : c’est un coup de foudre. Et puis l’histoire s’accélère, ralentit, c’est la galère, puis le début du succès, puis la galère, et tout ça pendant quatre ans. Elle vend 40 bouteilles, elle jette l’éponge, elle en vend 100 etc… Jusqu’à ce qu’elle appelle Yves pour lui annoncer la fin et qu’il lui lance “Mais tu crois quoi ? Que tout va se passer en deux minutes ? T’as pas le droit de lâcher”. Alors, elle ne lâche rien.
Aujourd’hui, La Guinelle est devenue une véritable institution. En 2019, près de 20 000 personnes sont venues visiter et Nathalie emploie 3 à 7 employés plein temps (dont son fils Adrien) selon la saison. Et puis des centaines de chefs affichent la fameuse petite bouteille scellée sur leurs tables et dans leurs cuisines. Des centaines d’étudiants viennent aussi observer. Avec, quasiment à chaque fois, la même réaction : “mais, c’est juste ça la vinaigrerie ?”. Et oui, c’est “juste” ça.
Pour y accéder depuis la maison de Nathalie, on longe le jardin et un incroyable petit chemin pour arriver devant 60 tonneaux en plein air et autant de Dame-Jeannes qui se dorent la pilule. L’une des plus grandes vinaigreries artisanales au monde se résume à cette centaine de petits trésors. Sur le côté, il y a un petit ruisseau qui coule. On a la tête dans le soleil, les cheveux dans le vent, les poumons frigorifiés, les yeux embués, l’esprit serein. C’est tellement beau que même dans un film, on n’y croirait pas.

Pour faire un bon vinaigre, il faut un bon vin
Nathalie est modeste, elle attribue à l’endroit une atmosphère, un climat particulier et répète à l’envie que son travail consiste à ne rien faire. Néanmoins, quand on creuse un peu, rien faire pour elle, ça veut dire beaucoup pour nous (on pourrait même imaginer un remix “Elle faisait du vinaigre debout”).
D’abord, Nathalie réalise une chose qui parait excessivement évidente mais qui est pourtant essentielle (et rarement respectée). Pour faire un bon vinaigre, il faut un bon vin. Point. Après plusieurs expériences, elle réalise également qu’il faut un vin non sulfité. “Sinon, c’est impossible, ça ne fonctionne pas”. Toutes les barriques sont à moitié pleines et Nathalie a transformé le socle du fût afin qu’il soit suffisamment grand et que, couvert d’un torchon, les bactéries puissent avoir la plus grande surface possible afin d’accéder au vin. Au bout d’un mois, un voile se forme, c’est la mère.
Soixante litres sont alors soutirés, autant sont rajoutés au fût. Ce qui est retiré est ensuite transvasé en Dame-Jeannes, une tradition dans le Banyuls. Touché par le soleil, battu par les intempéries, le vinaigre devient plus rond, plus agréable. Non filtré, il est ensuite embouteillé dans son joli flacon scellé.
Pendant longtemps, Natou a produit du vinaigre de Banyuls (rouge et blanc). Et puis, il y a eu un vinaigre à base de rosé du Casot des Maillottes aussi. De la même manière qu’il n’y a pas qu’un seul vin, il y a des vinaigres. Nathalie a donc étendu sa palette de jeux à toute la France et et s’est aussi amusée à produire des raretés comme du vinaigre de saké ou encore d’absinthe.
Dans cette vente et en guise d’introduction, on vous présente évidemment le grand clasico, le vinaigre de Banyuls rouge.
On y rajoute un vinaigre qui nous tient particulièrement à cœur, réalisé avec Premier Rendez-vous, un chenin signé Lise et Bertrand Jousset, l’un de nos coups de foudres viticoles du Tour de France, qui étaient également à Port-Vendres le jour de notre venue (comme quoi, il n’y a pas vraiment de hasard).
Et enfin, une exclusivité sobrement baptisée Lalie puisqu’il s’agit tout simplement de la lie du vinaigre réduite avec du sucre et conditionnée. Une première mondiale a priori, testée et approuvée avec du comté ou du parmesan. Vous nous en donnerez des nouvelles. En attendant, remplissez vos placards de La Guinelle.